Marius Barbeau Un aperçu de la culture canadienne (1883-1969)
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La vie de Barbeau

Le collège classique (1)

Au début de septembre 1897, à 14 ans, je partis pour le Collège Sainte-Anne-de-la-Pocatière où je devais faire un cours d'études classiques. Sainte-Anne est située sur le bas Saint-Laurent, à quatre-vingt dix milles en bas de Lévis (en face de Québec), sur la rive sud.

C'est un Collège de prêtres séculiers dont le programme d'étude est une imitation de celui des Jésuites: six ans d'études; quatre ans de lettres (Méthode, Versifi­cation, Belles-Lettres, Rhétorique) se terminant par un BA inter-collégial. Les deux dernières années étaient des sciences et de la philosophie se terminant par le B.Sc. C'était là un cadre serré où les professeurs ou maîtres de classe faisaient réciter les matières de manuels, faire des de­voirs, surveiller des études, donner des points. Lever à 6h du matin; coucher à 9h du soir - vie plutôt monas­tique. Messe chaque matin, deux messes les dimanches - basse et haute; vêpres. Plain-chant pratiqué et exécuté. Sermons. Retraite annuelle. Confessions et communions fréquentes. Comme j'étais heureux de faire mes études. Mais il y avait de petits ennuis, surtout celui d'être virtuellement en prison, moi qui avais déjà le goût des champs, des bois, de la vie errante et nomade!

Je pratiquais le violon ou le piano dans les chambres de musique pendant les jours de congé. On me permettait de quitter la salle de récréation ou les terrains de jeux sur la « Butte ». Cela me soulageait de l'ennui que j'y éprouvais. Je ne pouvais jouer à la balle au mur, étant plus jeune et plus petit que les gros fils d'habitants qui en avaient le privilège. De même pour le « base-ball ». En mon année de rhétorique, je fus admis à la fanfare, jouant la clarinette. Cela dura trois ans. Et puis nous pratiquions le plain-chant tous les samedis soirs pour les dimanches. Je n'aimais pas beaucoup à chanter en choeur, parce qu'un de mes voisins, nommé Bourret, chantait faux. J'avais l'oreille juste!

Parfois en automne, au lieu d'aller à la salle de musique les jours de congés, je m'enfuyais « en cachette » vers la montagne. Je m'y sentais chez moi, profondément réjoui. Cela me manquait dans les salles de récréation fermées sous l'oeil des maî­tres. En récréation, il fallait marcher, aller et venir incessamment avec des confrères ennuyeux qui n'avaient rien à dire, ou qui s'embêtaient comme moi. Il est vrai que j'avais quelques amis préférés: Arthur, Thomas (un Acadien), Émile, tous des premiers de classe (pas moi). J'étais le « chat » d'Arthur (amitié entre aîné et puîné, comme c'était le terme au Collège). Nous étions voisins de lit au grand dortoir de la Tour. Un matin, comme il s'en allait servir la messe, il se baissa sur moi (encore endormi) et me donna un baiser sur le front. Un voisin, Doyon, s'en aperçut, alla nous dénoncer. Je fus appelé. Le Directeur était fâché. Il me dit: « C'est lascif » (mot nouveau pour moi!). Il n'y a pas encore eu de mal. Mais il faut arrêter de vous voir ensemble, en récréation. Donc point final.

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