Marius Barbeau Un aperçu de la culture canadienne (1883-1969)
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La vie de Barbeau

Le collège commercial

Ce fut une joie pour moi d'entrer en classe et d'avoir la compagnie des jeunes garçons de mon âge. Je fis mes débuts à l'automne 1894, en 1ière classe. L'instituteur était le Frère Odouin, un gros homme, courtaud, bon et aimable. Un jour, nos devoirs étaient mal réussis. Le Frère Odouin nous appelait à tour de rôle à la tribune. Pourquoi ci ? Pourquoi ça? Et donnait de grosses tapes sur le dos de la main. Habitués, les autres enduraient ça sans cligner de l'oeil. Moi, je me mis à pleurer. Le Frère, au coeur tendre, me donnait des tapes comme aux autres ,- il ne fallait pas de passe-droits - mais il se donnait les tapes à lui-même, un peu dissimulé derrière la tribune.

Je finis par trouver ça drôle et je retournai à ma place, pâmé de rire. On commença à m'enseigner le dessin sur une grande feuille et une grande planchette. J'y éprouvais du plaisir et je réussissais bien. Pendant mes années de collège, une soirée fut organisée à un moment donné. On m'a envoyé sur scène pour chanter « À la claire fontaine » . J'étais très intimidé. Alors j'ai chanté, et je ne vous cache pas la peur que j'eue lorsqu'en arrivant dans les coulisses j'aperçus un Indien. C'était un prêtre. L'abbé Prosper Vincent était un Huron de Lorette, près de Québec. Il n'était pas attaché à une paroisse parce qu'il était toujours resté bohème. Son rôle l'amenait donc à se rendre de village en village, d'une paroisse à l'autre et dans des écoles comme la mienne, et d'y donner des spectacles : de danser comme un Indien. Et sa présence sur la scène m'avait beaucoup impressionné.

Avant d'aller au collège, j'étais servant de messe à l'église. Par conséquent, j'allais à l'église, bien vêtu tous les matins servant deux messes, celle du curé Chaperon et celle du vicaire Godbout, que j'aimais. Le vicaire Eugène Pelletier vint chez mes parents pour leur demander ce qu'ils entendaient faire de moi - mon avenir? C'était ma dernière année de collège. Il fallait y songer. Mon père montra au vicaire un billet (vert) de chemin de fer qui m'était destiné. C'était de la part de ma tante Elina Nash (née Barbeau, soeur de mon père) d'Omaha, Nebraska. Elle devait m'adopter comme son propre enfant, n'ayant pas elle-même d'enfant. Mes parents avaient résolu, ayant eux-mêmes d'autres enfants, de me donner à elle. Et cela ne me déplaisait pas.

L'illusion de l'Ouest et de la richesse existait encore et toujours dans ma famille. Et puis, il n'y avait pas grand avenir dans la tenue des livres. Il aurait fallu aller à Québec. Apprenant cette nouvelle, le vicaire fut tout ébahi. Il dit à mes parents qu'ils ne devaient pas me livrer ainsi à des Américains, pays de protestants, de transfuges canadiens qui abandon­naient leur nationalité. De son avis, il fallait me faire faire un cours classique afin que je devienne prêtre - j'étais si pieux, si bon servant de messe! Et je chantais bien les chansons! Ma mère fut touchée encore plus que mon père. L'idée que je devienne prêtre en mon pays les séduisit. Nouvelle période dans ma vie. Nouvelle orientation. J'allais, mon cours de six ans une fois fini, devenir prêtre.

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