Marius Barbeau Un aperçu de la culture canadienne (1883-1969)
Introduction Objets Photos & documents Thèmes La vie de Barbeau Coin éducatif

Chansons folkloriques canadiennes-françaises

Les chansons folkloriques canadiennes françaises, enregistrées sur cylindres de cire, constituent nos plus anciennes collections sonores. Quelques 2270 enregistrements, principalement de la collection Marius Barbeau, ont été numérisés à l'aide d'un des rares appareils disponibles à cette fin, « l'archéophone », produit artisanalement sur demande en France. La qualité de ces enregistrements est variable. Si certains extraits sont parfaitement clairs, d'autres par contre témoignent des aléas de l'évolution technique de ces premiers enregistrements sonores et des dégradations du support.

Il nous fait plaisir de vous présenter ici quelques extraits de ce répertoire riche et varié. Pour avoir accès à une sélection de plus de 900 chansons provenant de cette collection à laquelle nous avons joint une copie numérisée des transcriptions originales, veuillez suivre le lien ci-après.


Le couvent c'est ennuyant

Cette chansonnette enfantine du type « berceuse » évoque de manière humoristique la vie des petites couventines pensionnaires dans les écoles de la fin du 19ième et début du 20ième siècle.

Deux versions de cette chanson furent recueillies en 1916 et 1917 par Marius Barbeau. L'une provient de Édouard-Zotique Massicotte qui l'avait entendue à Trois-Rivières et à Montréal, tandis que l'autre fut recueillie aux Éboulements, Charlevoix, auprès de la petite Annette Tremblay alors âgée de 6 ans.

C'est la version de cette dernière, enregistrée en 1916, que nous vous présentons. Elle constitue une des rares chansons enregistrées sur cylindre de cire auprès d'enfants par Marius Barbeau. (Chanson MN306). pour écouter.

(Source : Marius Barbeau « En roulant ma boule » p.515).


D'où reviens-tu, méchant ivrogne? (Reproches de la femme de l'ivrogne)

Cette chanson explore un thème social souvent traité de manière humoristique, celui des « Joies du ménage ». Ici nous avons droit, dans un mode de chanson de danse à répons, à un débat entre l'ivrogne et sa femme.

« D'où reviens-tu, méchant ivrogne? » nous provient de Louis Simard (dit l'aveugle) de Saint-Irénée, Charlevoix. Elle fut recueillie en 1916, alors que M. Simard était âgé de 65 ans. (Chanson MN157). pour écouter.

(Source : Marius Barbeau «Le Roi boit » p. 349).


La courte paille

« Dans notre répertoire national, il n'y a guère de chanson populaire qui semble plus canadienne que « La courte paille » ». « On la connaît d'ailleurs un peu partout au Québec où elle prit racines il y a déjà deux ou trois cents ans ».

« Probablement originaire de Bretagne ou du Poitou, cette chanson de matelots vogua sur les hautes mers et échoua sur les rives étrangères souvent aussi éloignées de son berceau que la Scandinavie, le Danemark, la Norvège et même l'Islande. Elle a pris aussi racine en Grande-Bretagne et en Suisse romande. L'Espagne se l'est appropriée, en particulier la Catalogne; le Portugal l'a fait sienne dans un poème quasi épique « A nau Cathrinetta » à la gloire du fameux vaisseau portugais du XVIe siècle La Catherinette ». Ainsi « La Courte paille » aurait été déjà vieille de quelques centaines d'années lorsqu'elle émigra au Canada avec les colons français du XVIIe siècle, où elle servit peut-être aux canotiers et aux travaux rythmés.

Nous reprenons ici la version enregistrée en 1916 par Marius Barbeau après de Madame Élisabeth Tremblay, 80 ans, des Éboulements, Charlevoix. (Chanson MN050). pour écouter.

(Source : Marius Barbeau « En roulant ma boule » pp.49-55).


Faut aller chercher le loup (Biquette)

Chanté pour endormir les enfants, la rengaine du loup est d'un genre très ancien. Une proche parente « La randonnée du chevreau » (connue également sous le nom de « Biquette ») se retrouve déjà dans des manuscrits du rituel de la pâque juive, à Prague, datant de 1590. Aussi fait-on remonter l'origine de ce genre aussi loin que le XIIe ou XIIIe siècle.

« Comme dans les autres morceaux de ce genre, un nouvel objet s'ajoute cumulativement à mesure que les stances de plus en plus alourdies se déroulent »

Faut aller chercher le loup (bis)
Pour venir manger bébé.
Le loup n' veut pas manger bébé.
Bébé n'veut pas faire dodo...

« On évoque tour à tour le loup pour manger le bébé, le chien pour mordre le loup, le bâton pour battre le chien, le feu pour brûler le bâton, l'eau pour éteindre le feu, le bœuf pour boire l'eau, et le boucher pour tuer le bœuf ». Le tout se termine finalement au grand soulagement du chanteur essoufflé.

La version que nous vous présentons ici fut chantée en 1916 à Ottawa, par l'écrivain Louvigny de Montigny qui l'avait apprise de son père, à Saint-Jérôme, au Québec vers 1890. Elle constitue le premier enregistrement de chanson folklorique réalisé par Marius Barbeau. (Chanson MN001). pour écouter.

(Source : Marius Barbeau « En roulant ma boule » pp.569, 609-610).


J'ai fait faire un beau navire (Le merveilleux navire)

« J'ai fait faire un beau navire » est une variante sur un thème bien connu, en France et au Canada, celui du « Merveilleux navire » Ce thème semble avoir été populaire parmi les marins des environs de La Rochelle. Ces chansons fantaisistes sur le merveilleux navire, où l'on s'embarque pour « Cythère »* traversèrent de bonne heure l'océan avec les colons de la Nouvelle-France. Nous les retrouvons un peu partout sous des formes variées et avec des mélodies charmantes.

Nous vous offrons ici la version de M. Édouard Hovington (alors âgé de 90 ans) recueillie à Tadoussac en 1918. Ancien canotier, il l'avait apprise dans sa jeunesse « des gens d'en haut de Montréal » qui faisaient la descente des billots. Cette chanson se prêtait bien d'ailleurs à la cadence des rames ou de l'aviron, et dû servir beaucoup aux canotiers du Nord-Ouest. (Chanson MN460). pour écouter.

(Source : Marius Barbeau « En roulant ma boule » pp. 125-126).

* Ile grecque de la mer Égée, où l'on célébrait le culte d'Aphrodite, déesse de l'amour.


Francoeur, le mal faite (Baptiste le forgeron)

Cette chansonnette satirique est un bon exemple des petites chansons que l'on composait pour se payer la tête de quelqu'un. Ce genre qui regroupe entre autres les chansons d'élections est éphémère et ne survit habituellement pas à celui qui en est l'objet.

Madame Élisabeth Tremblay, des Éboulements, Charlevoix, âgée de 80 ans en 1916, nous interprète cette chanson où il est question de Francoeur le forgeron. (Chanson MN038). pour écouter.

(Source : Marius Barbeau «Le Roi boit » p. 425).


Je me lève à l'aurore du jour

« Cette chanson lyrique, tient du genre fort ancien de l'aubade (ou aube) et du nocturne. Dans le nocturne, le galant se présentait toujours à minuit sous les fenêtres de la belle. Mais dans l'aubade, la scène s'ouvrait au point du jour. Quelques coutumes galantes ont pu donner naissance à ces compositions qui se sont de bonne heure répandues dans presque toute l'Europe. Leur foyer de rayonnement semble avoir été le Midi de la France, ou peut-être un des pays latins plus au sud ».

« Ici l'amant se présente à l'aurore : « Belle, dormez-vous? » Elle ouvre la porte, accueille son amant. Mais cette fois, il s'agit d'un triste adieu – pour sept ans. Il est soldat, au régiment; il lui faut partir pour Orléans ».

Je me lève à l'aurore du jour est charmante par sa mélodie bien que son texte ne soit, à vrai dire que constitué de lieux communs du genre.

De nombreuses versions de cette chanson ont été recueillies un peu partout au Québec. Voici sans plus attendre une version provenant de Madame Louise Simard (née Desgagnés), 39 ans, Saint-Irénée, Charlevoix, enregistrée en 1916 par Marius Barbeau. (Chanson MN202). pour écouter.

(Source : Marius Barbeau «Le Rossignol y chante » pp. 89-91).


Je ne veux pas d'un habitant (Le Mari que je voudrais)

« L'origine de cette chanson de métiers ou d'avirons est probablement française. Autrefois en France, les cordonniers faisaient partie d'un bas échelon social ». Certains couplets comme celui de l'habitant « ont dû s'ajouter avec l'usage après l'introduction de cette vieille chanson au Nouveau Monde ».

Cette chanson a été recueillie à diverses occasions notamment par E.-Z. Massicotte en 1917-1918 auprès de M. Vincent-Ferrier de Repentigny, de Beauharnois, et par Marius Barbeau en 1925 à l'Île d'Orléans auprès de Madame Ermina Leblond.

Voici cette dernière version, chantée en 1925 par Madame Leblond, âgée de 60 ans, que nous vous présentons. (Chanson MN4030). pour écouter.

(Source : Marius Barbeau « En roulant ma boule » pp.299-300).


Voici le printemps (La merveilleuse nuit de noce)

« «Voici le printemps » est une chanson preste et vive qui, naguère, fut assez connue sur le haut Saint-Laurent. En France, où elle était populaire, elle se retrouve un peu partout dans le bassin de la Loire, dans le Berry, dans l'Île-et Vilaine et ailleurs en Bretagne ainsi qu'en Franche-Comté et même en Lorraine. »

« Chanson de terriens, elle se complaît aux délices de la table et de l'amour, et elle célèbre le retour du printemps ».

« Elle dut passer de France au Canada au cours du XVIIe siècle, avec les émigrants qui se rendaient à Montréal et à Trois-Rivières, plutôt qu'à Québec. Par son origine, elle tenait d'ailleurs plus de la Loire que de la Normandie, comme les Montréalais et les Trifluviens eux-mêmes. »

Chanson de métiers et d'avirons elle fut chanté une première fois à Marius Barbeau en 1916, par M. Édouard Hovington de Tadoussac « un ancien canotier de la Compagnie de la Baie d'Hudson ». Édouard-Zotique Massicotte devait en recueillir une version sur un air fort différent auprès de M. Louis-Honoré Cantin, 1917.

Mais ici, la version que nous vous proposons est celle de M. Vincent-Ferrier de Repentigny, âgé de 59 ans en 1917. Cette version est très apparentée à celle de M. Hovington. (Chanson EZM 828). pour écouter.

(Source : Marius Barbeau « En roulant ma boule » pp.95-99)


À Paris, dans une ronde (La vieille à la bourse d'argent)

« À Paris, dans une ronde », relate l'histoire d'une vieille de 80 ans qui dans la ronde des jeunes filles tente sa chance pour un prétendant. Attiré par sa bourse d'argent, le galant la marie sans attendre. Union de courte durée puisque « Le lundi, ce fut les noces, le mardi, l'enterrement » ... « Vive la vieill', la pauvre vieille, qui n'a pas duré longtemps! », ce qui permet au veuf de se remarier avec une jeune fille de 15 ans, sans doute grâce aux écus de la vieille.

Cette chanson « pour le travail, la danse ou l'aviron » est répandue dans toute la France. On la signale plus particulièrement dans le Dauphiné, la Provence, le Haut-Languedoc, la Normandie et le Cambrésis. Au Québec elle a été recueillie entre autres par Marius Barbeau en 1916 aux Éboulements, Charlevoix, auprès de Madame Élisabeth Tremblay et auprès de Madame Suzanne Lortie, (née Hamel), 32 ans. C'est cette dernière version que nous vous proposons. (Chanson MN008). pour écouter.

(Source : Marius Barbeau « En roulant ma boule » pp.267-26; Marguerite et Raoul d'Harcourt « Chansons folkloriques française au Canada » pp. 379-380).


Ah! J'ai vu, J'ai vu, Compère qu'as-tu vu? (L'anguille qui coiffait sa fille)

Cette chanson de mensonges ou de merveilles est d'un type qui se retrouve un peu partout au Québec. Elles sont également fort connues en France, dans les Alpes, le Dauphiné, dans le Val de Loire, la Franche-Comté, la Gascogne, en Basse-Bretagne et dans le Nivernais.

« L'anguille qui coiffait sa fille » provoque par ses absurdités le rire, mais n'est pas dénuée d'un timbre poétique et, selon Marius Barbeau, se prête bien l'usage de la pouponnière.

Nous reprenons ici la version de M. Louis Simard (L'aveugle), 65 ans, enregistrée, par Marius Barbeau à Saint-Irénée, Charlevoix, en 1916. (Chanson MN223). pour écouter.

(Source : Marius Barbeau « En roulant ma boule » pp.545-548; Marguerite et Raoul d'Harcourt « Chansons folkloriques française au Canada » pp. 359-361).