andis que les mineurs dans l'Est du pays s'affairaient à mettre sur pied la Provincial Workmen's Association, au Québec, en Ontario et dans l'Ouest, le Noble et Saint Ordre des Chevaliers du Travail - un autre syndicat - arrivait en trombe sur la scène syndicale. Durant le dernier quart du XIXe siècle, les Chevaliers organisèrent environ 400 assemblées (semblables aux sections locales d'aujourd'hui), comptant des dizaines de milliers de membres. Mouleurs, tonneliers et autres corps de métier dirigèrent les premières campagnes de recrutement des Chevaliers.

Les Chevaliers, toutefois, firent les choses différemment des premiers syndicats de métier qui n'avaient accueilli dans leurs rangs que les travailleurs les plus qualifiés. Les Chevaliers ouvrirent toutes grandes les portes de leurs assemblées; en fait, ils n'exclurent officiellement que les banquiers, les avocats, les joueurs et les propriétaires de saloon! Par conséquent, des milliers de travailleurs précédemment exclus du mouvement ouvrier y trouvèrent refuge. Les femmes se joignirent au mouvement syndical pour la première fois dans notre histoire. Dans le même esprit avant-gardiste, les Chevaliers permirent la tenue d'assemblées distinctes pour les travailleurs francophones et anglophones de Montréal. Toutefois, ce privilège ne s'étendit pas aux Chinois et aux autres travailleurs asiatiques, nombreux surtout en Colombie-Britannique.

Les Chevaliers du Canada faisaient partie d'un mouvement plus vaste qui avait pris naissance aux États-Unis dans les années 1860. Il n'y avait rien de surprenant à cela puisque les travailleurs de toute l'Amérique du Nord étaient aux prises avec des problèmes semblables. L'établissement de liens fraternels entre les travailleurs des deux pays semblait donc aller de soi. Toutefois, au Canada, les assemblées des Chevaliers prirent racine d'abord et avant tout en raison des conditions de travail locales.

Dans les petites localités comme Galt et Saint Catharines, en Ontario, tout comme dans les grandes villes de Toronto, Montréal, Winnipeg et ailleurs, les travailleurs créèrent des assemblées pour résoudre leurs griefs au travail et aborder des questions plus générales touchant la santé de leur collectivité. Ébranlés par les effets d'un marché du travail de plus en plus concurrentiel et les conditions de vie médiocres dans leurs villes, les Chevaliers tentèrent de limiter les dégâts qui semblaient inévitables dans le contexte de l'industrialisation.

En réaction aux craintes et aux préoccupations de l'époque, les Chevaliers réclamèrent l'imposition de restrictions à la libre concurrence du marché. Ils n'eurent de cesse, dans leurs discours et leurs écrits, d'insister sur la nécessité de protéger les collectivités contre des manufacturiers sans scrupules. Cependant, le déclenchement d'une grève pour l'atteinte de ces objectifs était perçu comme un moyen de dernier recours, du moins par les dirigeants. En premier lieu, il fallait, selon les Chevaliers, user de persuasion morale et réclamer des gouvernements une plus forte réglementation. L'accent mis par les Chevaliers sur la participation communautaire et la réglementation gouvernementale trouva plus ample expression sur la scène politique municipale. Dans de nombreuses villes canadiennes, les Chevaliers furent à l'origine de la création des premiers partis ouvriers indépendants. Autre exemple de leur esprit inventif, dans leur opposition au monopole industriel, les Chevaliers tâtèrent le terrain du côté des coopératives de producteurs et de consommateurs afin de trouver des solutions de rechange au développement des grandes entreprises. Toutefois, leur insistance à se pencher sur les conditions locales ne leur laissa que peu de temps et d'énergie pour la mise en place d'une forte organisation nationale. C'est en partie ce qui explique le déclin des Chevaliers à la fin des années 1880.



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