Martin Frobisher

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Quel genre d'homme dirige des expéditions dans les eaux de l'Arctique? Un portrait de Frobisher, commandé en 1577 dans la foulée du succès apparent de son premier voyage dans l'Arctique, révèle un homme de grande taille, bien bâti et imposant, mi-aventurier, mi-guerrier, et un peu impatienté par le fait de devoir poser.

Martin Frobisher; extrait du portrait Poole no.50, Bodleian Library De naissance, Martin Frobisher était lié à la bourgeoisie du Yorkshire et à une famille commerçante aisée de Londres. Au fil de sa carrière, il devait frayer avec certains des membres les plus éminents de la société élisabéthaine. Toutefois, il n'était pas des leurs, n'étant pas intéressé par les études (c'est à peine s'il savait lire et écrire), étant trop peu diplomate, manquant de grâce et étant trop caractériel pour faire carrière dans les affaires ou la fonction publique. Ainsi, à l'adolescence, il partit en mer, où son goût de l'aventure fut stimulé par des expéditions commerciales dans des endroits exotiques, des confrontations violentes avec ses rivaux portugais et un séjour dans une prison portugaise. C'est d'ailleurs au cours de l'une de ces expéditions qu'il fit la connaissance des frères Lok.

Son caractère violent et indiscipliné, doublé de son désir de faire fortune par tous les moyens possibles, incitèrent le jeune Frobisher à renoncer au commerce légitime pour devenir corsaire, activité sanctionnée par la Reine, à condition qu'elle cible les ennemis de l'Angleterre. Toutefois, Frobisher n'hésitait pas à abuser des conditions des licences royales par appât du gain, franchissant ainsi la limite entre les fonctions de corsaire et de pirate, ce qui fut à l'origine de son arrestation et de plusieurs courts séjours en prison dans les années 1560. Il échappa à une condamnation plus longue en offrant ses services à la Reine, d'abord en pourchassant et en arrêtant d'autres corsaires et contrebandiers, plus tard en prenant part à des opérations militaires. Toutefois, les vieilles habitudes sont dures à perdre, et il ne tarda pas à recommencer ses activités de corsaire. Loin de s'améliorer, il fut plutôt impliqué dans deux complots de trahison visant à aider la cause des catholiques irlandais. Dans les deux cas, les complots furent découverts, mais Frobisher parvint à éviter tout châtiment, peut-être parce que les autorités anglaises appréciaient son utilité à titre de commandant courageux.

Néanmoins, dès 1574, il avait perdu la confiance des autorités anglaises et son avenir était incertain. Il se peut que ce soit lors de son séjour dans une prison portugaise, où il entendit parler d'un passage par le nord-ouest pour atteindre le fameux Cathay, qu'il se soit intéressé à la recherche d'une telle route. Toutefois, il ne semble pas avoir songé sérieusement au projet avant de renouer connaissance, en 1574, avec Michael Lok, qui tenait absolument à trouver des nouveaux débouchés commerciaux pour les produits anglais. C'est probablement Lok qui a présenté Frobisher au cosmographe John Dee. Dans ce projet d'exploration visant la découverte d'un passage par le nord-ouest, Lok inclut d'autres commerçants (membres de la Compagnie de Muscovie et de la Mercers' Company [Compagnie des Drapiers]), et Frobisher invita Burghley et d'autres conseillers de la Reine. Ne faisant pas entièrement confiance à Frobisher, ceux-ci voyaient en lui une personne qui pourrait éventuellement être exclue du projet, tandis que Dee contribua son expertise scientifique. Des marins comme Christopher Hall furent également inclus pour rehausser la compétence en navigation maritime dont disposait Frobisher, même s'il n'était pas dans la nature de celui-ci de recevoir des conseils allant à l'encontre de ses opinions personnelles.

Parvenu en Arctique, il se peut que pour ce premier voyage modeste, Frobisher visait personnellement à revenir avec suffisamment de preuves de l'existence d'un passage pour convaincre ses bailleurs de lui fournir une flottille plus importante pour un autre voyage. Il revint personnellement convaincu de l'existence du passage, ne s'étant pas aventuré assez loin pour réfuter sa théorie personnelle. Il ramena également un prisonnier inuit qui attisa l'intérêt public pour le projet et un bloc de minerai lequel, selon des affirmations ultérieures, contenait de l'or. On ignore si Frobisher croyait réellement au résultat des analyses, car il ne s'entendait généralement pas avec les scientifiques. Toutefois, il reprit ces affirmations pour étayer ses arguments en faveur d'une deuxième expédition.

Ce deuxième voyage fut donc motivé plus par l'idée d'une exploitation minière éventuelle que par un désir d'exploration. Le fougueux Frobisher ne protesta pas trop, se contentant plutôt d'affirmer aux autorités qu'il y avait assez de ce minerai dans le Nord-Ouest pour remplir tous les navires de la Reine. On pourrait en déduire que sa motivation n'était donc pas particulièrement la découverte du passage du Nord-Ouest, mais plutôt l'idée d'assurer sa gloire personnelle comme commandant (il souhaitait être nommé amiral des mers du Nord) et de devenir riche, par quelque moyen que ce soit, y compris apparemment le détournement d'une partie des fonds destinés à financer l'expédition. Son enthousiasme et sa volonté s'affirmeraient au cours des deuxième et troisième voyages, comme en témoignent ses actes de bravoure et sa capacité de commandement en temps difficile, lorsqu'il parvint à trouver une route sûre pour ses navires dans des mers agitées et prises par les glaces et convainquit ses hommes d'extraire et de charger autant de minerai que possible dans les difficiles conditions qui caractérisaient l'Arctique.

Lorsqu'on découvrit que le minerai ne contenait aucun métal précieux, Frobisher et Lok devinrent les cibles de l'insatisfaction de ceux qui avaient investi de l'argent dans les expéditions. Frobisher parvint une fois de plus à esquiver les accusations, rejetant le blâme sur Lok (entre autres) au fil de ce qui devint un échange de récriminations devant les tribunaux. Lok fut ruiné. Frobisher fut provisoirement discrédité et, comme il figurait aussi parmi les investisseurs, il perdit de l'argent. Il eut de la difficulté à trouver du travail pendant plusieurs années, jusqu'à ce que l'hostilité croissante entre l'Angleterre et l'Espagne réanime le besoin, en 1586, d'un commandant de navire courageux. À ce stade avancé de sa vie, Frobisher s'était considérablement assagi. Il demeura au service de la Reine jusqu'à la fin de ses jours.

Selon son plus récent biographe, James McDermott, Frobisher était :

« [...] un homme animé du désir infatigable de parvenir à ses fins, mais qui ne possédait pas les qualités d'intuition d'une personne qui réussit réellement [...]. Frobisher fit maintes promesses, mais n'accomplit rien de réellement remarquable, mais il le fit avec une énergie qui fait de lui un personnage quelque peu sympathique. »
[Meta Incognita : A Discourse of Discovery, p.108-09, traduction]

Il n'était ni à l'aise, ni patient, dans ses négociations avec les courtiers, marchands ou scientifiques qui avaient un rôle à jouer dans les opérations commerciales ou techniques liées aux expéditions, préférant côtoyer d'autres marins et naviguer au grand large. En tant que commandant courageux et énergique, qui prêchait par l'exemple et sur les premières lignes - imprudence qui lui valut d'ailleurs d'être abattu par une balle de fusil - il était aimé de ses hommes et prêt à payer de sa vie pour que la leur soit sauve. Pourtant, il était incapable d'inspirer la plupart de ses officiers, qui, du moins dans le cas des expéditions dans l'Arctique, possédaient souvent des compétences supérieures aux siennes et un meilleur jugement. Il jouait d'une concurrence jalouse à leur égard pour affirmer son autorité. Pourtant, il faut reconnaître que la troisième expédition dans l'Arctique fut un accomplissement important sur le plan technique, tant du point de vue de la navigation que de celui de la conduite d'une expédition de taille dans des eaux violentes et mal connues, avec des pertes de vies négligeables.

Les héros de l'histoire sont rarement des êtres surhumains; ils sont humains et ils ont des défauts. Ce sont leurs actes exceptionnels qui leur valent d'être considérés comme héroïques. Comme le fait remarquer le professeur T.H.B. Symons au sujet de Martin Frobisher :

« Malgré toutes les accusations dénigrantes exprimées au sujet de Frobisher, il demeure l'un des aventuriers les plus remarquables et les plus colorés de l'histoire de l'Angleterre, un meneur d'hommes distingué et, à sa manière, un visionnaire. Les conséquences de ses actions, à la fois intentionnelles et non intentionnelles, ont été considérables. »
[Meta Incognita: A Discourse of Discovery, p.xxiii, traduction]



Sommaire biographique

Né à Yorkshire (Angleterre), vers 1539
à 14 ans : est mis à contribution lors d'une expédition en Afrique occidentale, dont il est l'un des seuls survivants
à 23 ans : est pris en otage et emprisonné à la forteresse portugaise de Mina en Afrique occidentale
à 26 ans : est dénoncé, auprès de la reine Élisabeth par l'ambassadeur espagnol, pour avoir pillé la riche cargaison de marchandises du navire andalou Flying Spirit
à 27 ans : est accusé de tentative de piraterie, première de plusieurs accusations similaires
à 33 ans : sert la reine d'Irlande et rencontre sir Humphrey Gilbert
à 34 ans : discute avec l'ambassadeur espagnol de la possibilité de changer d'allégeance
de 37 à 39 ans : participe à l'exploration du passage du Nord-Ouest
à 49 : se distingue dans la défense contre l'Armada espagnole
à 55 : est tué alors qu'il dirige une attaque contre une forteresse espagnole en Bretagne


 


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