Photo Chronique La période 1920-1997 à la loupe
Le droit de voter et de poser sa candidature à une élection est enchâssé dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Le droit de vote à l'époque moderne, 1920-1997
L'Acte des élections fédérales
La Seconde Guerre mondiale et ses suites
Les Autochtones et le droit de vote
La Charte : un tournant
        L’admission au vote en vertu
        de la Charte

        Trois réformes législatives

Conclusion
Sommaire : Le vote au cours des décennies

Table des matières
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La Charte : un tournant

Le facteur qui exercera l’influence la plus importante sur la législation électorale dans les années d’après-guerre est sans doute l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, qui est entrée en vigueur le 17 avril 1982. Les articles 2 à 5 de la Charte exposent les libertés fondamentales et les droits démocratiques des citoyens. On lit ainsi à l’article 3 :

Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales [ou territoriales].

Beaucoup de Canadiens pensaient probablement que leur droit de vote était garanti bien avant 1982. Comme nous l’avons vu, cependant, de nombreuses personnes ont été privées du droit de vote par le passé, soit pour des motifs d’ordre racial ou religieux, soit parce qu’elles ne pouvaient se rendre au bureau de scrutin le jour de l’élection, à cause d’erreurs dans l’établissement des listes électorales ou pour d’autres raisons de nature essentiellement administrative.


La primauté des principes     haut

Même lorsque des améliorations sont proposées à la législation électorale – par exemple, l’élargissement du droit de vote par anticipation à des groupes autres que les employés des chemins de fer et les voyageurs de commerce -, elles soulèvent parfois de la résistance et des récriminations au Parlement. Ainsi, comme nous l’avons vu, il faudra 50 ans pour que le droit de vote par anticipation soit accordé à quiconque le désire; chaque fois qu’un nouveau groupe se voit accorder le « privilège » de voter par anticipation, il y a de l’opposition, généralement sous prétexte du coût ou du caractère peu pratique de la mesure sur le plan administratif. Des arguments reposant sur les droits et les principes de la démocratie sont moins souvent invoqués.

La Charte marque un changement d’optique. Elle garantit le droit de vote, de même que la liberté de pensée, d’expression et d’association – ces droits ne pouvant être restreints « que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». De plus, les assemblées législatives ne peuvent pas annuler le droit de vote (comme elles peuvent le faire pour certaines autres dispositions de la Charte) en invoquant la « clause nonobstant ».


La mise en œuvre de la Charte     haut

On peut par ailleurs s’appuyer sur la Charte pour contester la perte ou le non-respect de certains droits. Par exemple, une personne qui se voit refuser le droit de vote peut en appeler devant les tribunaux; si ces derniers lui donnent gain de cause, ils peuvent invalider les dispositions législatives en cause ou exiger que les règles administratives à l’origine du problème soient modifiées – et cela s’est effectivement produit à quelques reprises depuis 1982.

Bien entendu, des progrès importants ont été réalisés dans la législation et l’administration électorales avant l’avènement de la Charte. En effet, le déni du droit de vote pour des raisons liées au sexe, à la religion, à la race ou au revenu a été éliminé de la législation, et des mesures administratives ont été prises pour faciliter le vote aux personnes handicapées, aux personnes absentes de leur circonscription le jour du scrutin, ainsi qu’aux membres de la fonction publique et aux militaires en poste à l’étranger.

Néanmoins, nonobstant les changements intervenus depuis la Seconde Guerre mondiale, les juges, les personnes incarcérées et les personnes ayant certaines incapacités ne pouvaient toujours pas voter, de même que d’autres personnes qui se trouvaient exclues pour des raisons administratives. De plus, certains citoyens ne pouvaient participer au processus électoral qu’à un degré limité; par exemple, à certains paliers de gouvernement, les fonctionnaires ne pouvaient pas participer à des activités électorales qui allaient révéler des préférences partisanes.


Progrès juridiques et administratifs     haut

Pas à pas à partir de 1982, un grand nombre de ces problèmes seront réglés par le biais de mesures prises par le Parlement et les membres du personnel électoral pour garantir que le système électoral du Canada respecte les principes de la Charte, non seulement sur le plan juridique, mais également sur le plan administratif.

Cette démarche sera appuyée par la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, que le gouvernement fédéral met sur pied en 1989 pour examiner notamment les nombreuses anomalies mises en lumière par les personnes qui ont présenté des contestations judiciaires en vertu de la Charte. Les recommandations de la Commission sont examinées par le Parlement, avec les conseils et le soutien du directeur général des élections. Il en résultera l’adoption du projet de loi C-78 en 1992 et du projet de loi C-114 en 1993, qui, ensemble, amorcent des changements importants dans la façon dont la législation électorale régit l’accès au vote.

Les pages qui suivent traitent à tour de rôle de ces deux éléments : l’admission au vote à l’issue de contestations judiciaires en vertu de la Charte et les changements législatifs apportés depuis l’adoption de la Charte.


L’admission au vote en vertu de la Charte     haut

Jusqu’à maintenant, les principaux groupes à avoir bénéficié des contestations judiciaires en vertu de la Charte sont les juges, les personnes incarcérées et les personnes ayant une déficience intellectuelle.

Depuis 1874, la loi interdisait aux juges nommés par le cabinet fédéral de voter. Cette disposition demeurera en vigueur jusqu’en 1993, mais par suite d’un jugement rendu au moment de l’élection générale de 1988, à l’issue d’une contestation judiciaire fondée sur la Charte, la disposition devient caduque. Environ 500 juges de nomination fédérale deviennent donc admissibles à voter aux élections fédérales lorsqu’un tribunal invalide l’article pertinent de la Loi électorale du Canada, déclarant qu’il va à l’encontre de la garantie du droit de vote inscrite dans la Charte.


Le vote des détenus     haut

Les détenus ne sont pas autorisés à voter depuis 1898; cependant, selon au moins un député, Lucien Cannon, certains détenus semblent avoir trouvé le moyen de contourner les règles :

Il est arrivé qu’on a permis aux prisonniers, sous la garde du shérif, d’aller déposer leur bulletin sauf à revenir ensuite.

Débats, 19 avril 1920, 1861

Le solliciteur général de l’époque semble ne pas ajouter foi à cette histoire, et réplique que les détenus peuvent bien être inscrits sur les listes électorales, mais qu’ils ne peuvent pas exercer leur droit de vote de toute façon, parce qu’ils n’ont pas accès à une urne.

Jusqu’en 1982, peu de parlementaires s’intéressent à la défense du droit de vote des détenus. À partir de 1982, cependant, les détenus de plusieurs établissements correctionnels réclament le droit de vote devant les tribunaux en invoquant la Charte. Ils commencent par contester la législation électorale provinciale, et remportent certains succès à ce chapitre. Ensuite, lors de l’élection fédérale de 1988, la Cour d’appel du Manitoba décrète qu’il n’appartient pas aux tribunaux, mais au législateur de déterminer quels détenus peuvent ou non voter.

Depuis lors, divers tribunaux se sont prononcés contre l’exclusion généralisée des personnes incarcérées : la Cour fédérale du Canada en 1991, la Cour d’appel fédérale en 1992 et la Cour suprême du Canada en 1993; en fait, les personnes incarcérées seront autorisées à voter lors du référendum fédéral de 1992 par suite de décisions judiciaires.


Exclusions contestées     haut

Ces causes démontrent que la privation générale du droit de vote pour tous les détenus ne sera plus tolérée en vertu de la Charte; mais les tribunaux n’établissent pas quelles privations particulières seraient acceptables, s’en remettant pour cela au législateur. En 1993, le Parlement accorde le droit de vote aux détenus purgeant des peines de moins de deux ans, mais maintient l’exclusion pour les autres.

La nouvelle disposition est contestée par un détenu condamné à une peine de plus de deux ans. En 1995, la Cour fédérale lui donne raison, affirmant que les nouvelles dispositions sont incompatibles avec l’article 3 de la Charte et ne constituent pas des « limites raisonnables » dans une société libre et démocratique. Cette décision a été portée en appel, mais pour l’instant elle demeure en vigueur, et tous les détenus sont donc admissibles au vote.


Les droits des personnes handicapées     haut

Dans les années 80 et au début des années 90, divers changements administratifs et législatifs rendent le vote plus accessible aux électeurs ayant une déficience. Un groupe demeure cependant privé du droit de vote, soit « toute personne restreinte dans sa liberté de mouvement ou privée de la gestion de ses biens pour cause de maladie mentale ». En 1985, un comité de la Chambre des communes recommande que ces personnes soient recensées et qu’elles aient le droit de voter au même titre que les autres Canadiens, et la Commission royale en arrivera à la même conclusion dans son rapport de 1991.

Entre-temps, la disposition est invalidée par les tribunaux. En 1988, le Conseil canadien des droits des personnes handicapées fait valoir, dans une contestation judiciaire basée sur la Charte, que la Loi électorale du Canada ne devrait pas exclure des personnes assujetties à certaines restrictions pour cause d’incapacité mentale. Le tribunal lui donne raison, sans toutefois préciser à partir de quel niveau de compétence mentale une personne serait apte à voter. En 1993, le Parlement élimine l’exclusion pour cause d’incapacité mentale dans le cadre d’un remaniement plus général de la Loi.


Trois réformes législatives     haut

Les principales innovations apportées au système électoral après l’adoption de la Charte se retrouvent dans trois textes législatifs : le projet de loi C-78 de 1992, le projet de loi C-114 de 1993 et le projet de loi C-63 de 1996.

Dans la foulée des recommandations de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, d’un comité parlementaire et du directeur général des élections, le projet de loi C-78 apporte des modifications à la Loi électorale du Canada (de même qu’à diverses autres lois fédérales) pour assurer l’accès au processus électoral aux personnes ayant une déficience. Le directeur général des élections se voit également confier le mandat précis de mettre sur pied des programmes d’éducation et d’information du public pour mieux faire connaître le processus électoral, en particulier auprès des personnes les plus susceptibles d’éprouver des difficultés à exercer leur droit de vote, à cause d’une déficience, d’obstacles linguistiques, ou pour d’autres raisons.

Le projet de loi C-114 apporte de nouveaux progrès au chapitre de l’accessibilité, en introduisant le vote par bulletin spécial – un système d’inscription et de vote par la poste – à l’intention des Canadiens et Canadiennes absents de leur circonscription, des électeurs incarcérés et de tout autre électeur qui est dans l’impossibilité de voter en personne le jour du scrutin ou lors du vote par anticipation. Enfin, tous les Canadiens vivant ou voyageant à l’étranger – et non plus seulement les militaires et les diplomates – vont pouvoir voter, à condition de ne pas avoir été absents du Canada pendant plus de cinq ans et d’avoir l’intention d’y revenir un jour. Le projet de loi C-114 supprime également les mesures qui privent du droit de vote plusieurs autres groupes, notamment les personnes ayant une déficience intellectuelle.

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En 1993, la Loi est modifiée pour permettre à tout électeur de voter – au moyen du bulletin spécial – même s’il lui est impossible de se rendre au bureau de scrutin le jour de l’élection ou lors du vote par anticipation.
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Le projet de loi C-78     haut

L’accès au vote

Quelques points saillants du projet de loi C-78 (1992) :

  • des bureaux de vote itinérants desservant les établissements pour personnes âgées ou handicapées, pour permettre aux membres du personnel électoral d’apporter l’urne aux personnes qui pourraient avoir de la difficulté à se rendre au bureau de scrutin;

  • des gabarits à l’intention des électeurs ayant une déficience visuelle;

  • l’accès de plain-pied à tous les bureaux de scrutin et bureaux du directeur du scrutin, les exceptions inévitables devant être autorisées par le directeur général des élections;

  • une procédure permettant aux personnes handicapées de voter à un bureau de scrutin autre que le leur si ce dernier n’est pas accessible de plain-pied.
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La Loi exige depuis 1992 des bureaux de scrutin accessibles aux personnes en fauteuil roulant ainsi que d’autres mesures pour faciliter l’accès au vote.
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Le projet de loi C-63     haut

Le projet de loi C-63, adopté en décembre 1996, apporte trois changements importants :

  • Les bureaux de vote sont dorénavant ouverts plus longtemps le jour du scrutin – 12 heures plutôt que 11 – et les heures du scrutin sont décalées, de sorte que les résultats du vote sont diffusés à peu près en même temps partout au pays. Les heures d’ouverture plus longues sont plus commodes pour les électeurs, et les heures de fermeture décalées ont pour objet de régler un grief de longue date des électeurs de l’Ouest, à savoir la diffusion des résultats de l’Est et du Centre du Canada avant que certains d’entre eux aient eu le temps de voter.

  • La loi prévoit l’établissement et la mise à jour régulière d’un registre permanent des électeurs constitué d’une base de données informatisée. Cette mesure élimine le besoin d’effectuer un recensement porte-à-porte à chaque élection. Le nouveau registre, qui a servi pour la première fois à la production de la liste électorale préliminaire de l’élection générale de 1997, s’inscrit dans la tradition canadienne en allant au-devant des électeurs et en facilitant l’inscription sur la liste électorale.

  • Ces nouvelles mesures permettent à leur tour d’apporter un autre changement préconisé depuis longtemps par de nombreux électeurs : une campagne électorale de plus courte durée. Le temps minimum qui doit s’écouler entre la délivrance des brefs d’élection et le jour du scrutin passe de 47 à 36 jours.



Un registre électoral permanent     haut

La question d’un registre permanent des électeurs – d’abord soulevée dans les années 1930 – refait surface dans les années 1980. En 1991, la Commission royale recommande que les listes provinciales soient utilisées au niveau fédéral, car elle estime que les conditions pour créer un registre fédéral des électeurs n’existent pas alors. Ces conditions semblent exister en 1995, année où Élections Canada met sur pied un groupe de travail chargé d’examiner les nombreux aspects techniques, juridiques, financiers et autres du projet.

Une fois le Registre national des électeurs établi, à l’issue d’un dernier recensement mené en avril 1997, les élections et les référendums allaient pouvoir se tenir en fonction de listes électorales préliminaires dressées à partir du registre, qui serait mis à jour régulièrement au moyen de données de diverses sources. Par exemple, les 3,2 millions de Canadiens et Canadiennes qui déménagent chaque année (environ 16 % de l’électorat) verront leur nouvelle adresse inscrite automatiquement au registre lorsqu’ils feront changer l’adresse de leur permis de conduire.

Ainsi, le recensement visant à dresser les listes électorales – entreprise longue et coûteuse faisant appel à plus de 100 000 recenseurs à chaque élection – est aujourd’hui passé à l’histoire, tout comme le vote de vive voix, le vote par procuration et d’autres procédures électorales d’antan.


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