Photo Chronique La période 1920-1997 à la loupe
Sir Robert Borden est le premier ministre qui a inauguré l’ère électorale moderne en faisant adopter l’Acte des élections fédérales.

Le droit de vote à l'époque moderne, 1920-1997
L'Acte des élections fédérales
        Les listes électorales

        L’accès au vote La Seconde Guerre mondiale et ses suites
Les Autochtones et le droit de vote
La Charte : un tournant
Conclusion
Sommaire : Le vote au cours des décennies

Table des matières
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L'Acte des élections fédérales

En plus d’établir le poste de DGE, la réforme électorale de 1920 centralise pour la première fois les aspects financiers et logistiques de l’administration des élections fédérales. Le système ainsi transformé comporte néanmoins certaines lacunes, dont quelques-unes ne seront éliminées que dans les années 1980.

Les plus graves de ces lacunes concernent les difficultés que continuent d’éprouver certaines électrices; l’exclusion de certains groupes pour des raisons raciales ou religieuses ou des motifs économiques; et l’exclusion d’individus à cause d’obstacles administratifs. Cette dernière catégorie comprend un certain nombre d’irritants dont beaucoup seront éliminés progressivement entre 1920 et 1982.


Les listes électorales     haut

Comme c’était le cas avant 1920, la nouvelle loi prévoit que les élections seront tenues en fonction de listes d’électeurs admissibles; dans les régions urbaines, on utilisera les listes électorales déjà établies par les provinces, mais dans les régions rurales, on procédera à un recensement. Ces listes soulèvent une certaine controverse : on critique leur mode d’établissement, mais également les renseignements qu’elles contiennent et la façon dont elles sont publiées. Le problème le plus grave – l’inscription des femmes électrices – est réglé en 1929, mais les méthodes d’établissement, de révision et de publication des listes continueront de faire l’objet de débats et de modifications au fil des ans.

Si l’on fait une distinction entre sections de vote « rurales » et « urbaines » et que l’on prévoit deux méthodes distinctes pour établir et réviser les listes électorales, c’est pour assurer l’exhaustivité et l’exactitude des listes en milieu rural. À l’élection de 1921, en effet, les listes des régions rurales de l’Ontario s’étaient révélées pratiquement inutilisables.


Inscription le jour du scrutin     haut

La nouvelle législation stipule donc que dans les sections de vote rurales (les endroits comptant moins de 1 000 habitants), les listes seront « ouvertes ». Des « régistrateurs » expressément nommés à cette fin effectueront un recensement porte-à-porte (on évite de les appeler « recenseurs » parce qu’à l’élection de 1917, les recenseurs avaient été généralement perçus comme partisans). Les électeurs qui n’ont pas été recensés pourront s’inscrire le jour du scrutin en prêtant serment, à condition qu’un autre électeur se porte garant d’eux.

Dans les sections de vote urbaines, les électeurs qui ne sont pas inscrits sur une liste provinciale doivent présenter une demande d’inscription à un régistrateur réviseur qui, dans chaque circonscription, se tient prêt à les inscrire, 10 heures par jour, 6 jours durant. Passé ce temps, les listes électorales urbaines demeurent « fermées » jusqu’à l’élection suivante. Pour justifier cette différence dans le traitement des électeurs, on fait valoir que les régions rurales sont plus difficiles à recenser, et que l’inscription le jour du scrutin s’impose pour protéger le droit de vote des électeurs. Les électeurs en milieu urbain ne pourront profiter de cette mesure qu’à partir de 1993, lorsque le projet de loi C-114 abolira la distinction entre sections de vote urbaines et rurales.

La distinction entre sections de vote urbaines et rurales s’avère un obstacle important à l’exercice du droit de vote pour de nombreux électeurs. Certaines circonscriptions comptent à la fois des sections rurales et urbaines, et certains électeurs, ne sachant pas dans quel genre de section ils résident, ne prennent pas les moyens nécessaires pour se faire inscrire. En outre, pour ajouter à la confusion, la définition des sections « rurales » est modifiée quelques mois avant l’élection de 1921. Dorénavant, les agglomérations comptant une population de moins de 2 500 habitants seront considérées comme « rurales » (le chiffre sera encore modifié à plusieurs reprises par la suite).


La nécessité d’établir des listes fédérales     haut

Mais la conséquence la plus importante de cette distinction apparaîtra lors de l’élection de 1921 : de très nombreuses femmes seront apparemment empêchées d’exercer le droit de vote acquis en 1917-1918.

Au Québec, par exemple, les femmes n’ont pas le droit de voter aux élections provinciales. (Alexandre Taschereau affirme même qu’elles n’obtiendront pas le droit de vote tant qu’il demeurera premier ministre – et il conserve son poste jusqu’en 1936.) Les femmes ne sont donc pas inscrites sur les listes électorales provinciales. Dans les sections de vote rurales, les femmes qui n’ont pas été recensées peuvent s’inscrire en prêtant serment le jour du scrutin; dans les sections urbaines, elles doivent s’inscrire auprès du régistrateur à l’intérieur de la période prévue.

Les conséquences ressortent clairement si l’on examine le nombre d’électeurs inscrits en 1921. En Ontario, 99,74 % de la population de 21 ans et plus est inscrite; le chiffre correspondant pour le Québec est de 90,55 %. Cette différence de 9 points représente 107 259 personnes. Comme il y a 581 865 femmes de 21 ans ou plus au Québec en 1921, il semble probable que la vaste majorité des électeurs non inscrits sont des femmes, qui sont ainsi empêchées d’exercer leur droit de vote dans une élection fédérale.

En 1929, la loi est modifiée pour abolir l’utilisation des listes provinciales : dorénavant, il sera plus facile pour les électrices du Québec de se faire inscrire sur les listes fédérales, quoiqu’elles n’obtiendront le suffrage au niveau provincial qu’en 1940.

Ces changements ne se font pas sans protestation. Le chef conservateur Arthur Meighen pense que l’inscription le jour du scrutin dans les agglomérations de 2 500 habitants ouvre la porte à la fraude. Le ministre libéral Charles G. (« Chubby ») Power est d’accord, affirmant que certaines personnes pourraient manifester leur « patriotisme » en votant plus souvent que le nombre de fois jugé judicieux par la loi (Débats, 19 juin 1925). En fait, ces craintes sembleront peu fondées dans les décennies qui suivront.


La confection des listes électorales     haut

De 1930 jusqu’aux années 1990, la plupart des élections fédérales se font à partir de listes établies par des recenseurs pendant la période électorale. Pendant la plus grande partie de cette époque, les recenseurs des régions urbaines travaillent en équipes de deux; en milieu rural, il y a un seul recenseur par section de vote. En milieu urbain, les recenseurs sont nommés à partir de listes de noms présentées aux directeurs du scrutin par les partis politiques dont les candidats se sont classés premier et deuxième dans la circonscription lors de l’élection précédente.

Une fois les listes établies, les électeurs – particulièrement dans les sections de vote urbaines – doivent s’assurer que leur nom y est inscrit s’ils veulent voter. La diffusion des listes permet aux électeurs de vérifier l’exactitude du recensement. Dans son rapport de 1925, le colonel Biggar signale que les listes ont été dressées à la hâte, que les listes affichées ont été endommagées par les intempéries ou des vandales, et que de nombreux électeurs non inscrits s’estiment victimes de partisanerie. Comme les agents réviseurs sont normalement désignés par les partis, de simples erreurs sont souvent attribuées à la mauvaise foi. Biggar recommande que les listes fassent l’objet d’une plus large distribution, pour que les électeurs puissent les vérifier plus facilement.

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Des recenseurs visitaient jadis chaque ménage pour inscrire les électeurs. Comme l’illustre cette caricature de Len Norris du Sun de Vancouver, ils n’étaient pas toujours reçus chaleureusement. Depuis la création du Registre national des électeurs en 1997, les recensements sont chose du passé.
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La publication des listes électorales     haut

La deuxième personne à occuper le poste de DGE, Jules Castonguay, signale après l’élection de 1930 qu’il n’est pas facile pour les électeurs de protéger leur droit de vote en vérifiant s’ils sont inscrits sur les listes. Il propose donc que chaque foyer reçoive un exemplaire de la liste électorale de la section de vote pertinente. Cette recommandation finira par être adoptée, mais seulement après l’essai d’une autre méthode en 1934.

L’innovation de 1934 consiste à expédier à chaque électeur inscrit une carte postale lui indiquant où voter. Le rapport du DGE décrira cependant cette méthode comme très coûteuse, car chaque carte doit être adressée individuellement. La formule des cartes postales est donc abandonnée : de l’élection de 1940 jusqu’en 1982 (année où ces cartes seront réintroduites), les électeurs recevront un exemplaire de la liste électorale montrant les nom, adresse et profession de tous les électeurs inscrits de la section de vote visée.

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En 1963, pour informer le public des détails d’une élection, on se contentait encore de les afficher en des lieux publics. Aujourd’hui, chaque électeur inscrit reçoit un avis personnalisé contenant toutes les informations essentielles.
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La première liste électorale permanente     haut

Par ailleurs, le gouvernement de R.B. Bennett crée une liste électorale permanente en 1934. Après un dernier recensement, des régistrateurs dans chaque circonscription seront chargés de réviser la liste une fois par année. Toutes les listes, tant en milieu rural qu’urbain, seront « fermées » – et tout électeur omis par inadvertance devra demander à être inscrit pour pouvoir voter.

Une première révision annuelle est effectuée et la liste permanente sert à l’élection de 1935 mais, à cause de contraintes financières, elle cesse d’être révisée par la suite. La technologie de l’époque est en effet insuffisante pour surmonter les obstacles logistiques. L’idée est donc abandonnée en 1938 et l’on revient à la méthode des recensements.

Les députés qui ont connu le registre des électeurs de M. Bennett le jugent beaucoup trop coûteux et encombrant. Même le directeur général des élections, normalement circonspect dans ses rapports, affirme que la formule n’apporte aucune amélioration. M. Castonguay déclare pour sa part que la mise à jour de la législation électorale n’a pas donné les résultats escomptés, et que l’expédition de cartes individuelles aux électeurs est une opération longue et coûteuse. À la suggestion du DGE, le gouvernement décide d’expédier les listes électorales à tous les électeurs, et l’idée d’une liste permanente ne sera pas reprise avant les années 1980.


L’accès au vote     haut

Une autre disposition de la législation électorale de 1920 constitue une amélioration importante : des groupes particuliers d’électeurs, soit les voyageurs de commerce, les employés des chemins de fer et les marins, pourront dorénavant voter par anticipation dans les trois jours (à l’exclusion du dimanche) précédant le jour du scrutin.

Même si, pour la plupart des gens, le vote par anticipation apparaît comme une mesure positive, la disposition est contestée d’entrée de jeu. Un ancien ministre des Finances, W.S. Fielding, n’y voit qu’un gaspillage d’argent. Selon lui, « ce serait pour ainsi dire construire une machine à vapeur pour actionner un canot » au profit d’une poignée d’électeurs. Le politicien est d’avis que les employés des chemins de fer et autres devraient voter par procuration. Le secret du vote ne sera pas préservé mais ce n’est pas bien grave, dit-il, car de toute façon la plupart des hommes, du moins dans sa province de la Nouvelle-Écosse, ne cachent pas pour qui ils votent (Débats, 13 avril 1920, 1192).

Cette réticence face au vote par anticipation persistera pendant des dizaines d’années. En 1934, le vote par anticipation sera accordé aux travailleurs des « aéronefs » (expression utilisée dans la loi jusqu’en 1960) et aux pêcheurs – même si certains députés font remarquer qu’il est peu vraisemblable que les pêcheurs soient à la maison pendant la brève période de vote par anticipation si elle tombe pendant la saison de la pêche.

Le vote par anticipation est accessible uniquement aux électeurs qui prévoient être absents de la circonscription pour affaires le jour du scrutin. Ils doivent prêter serment et obtenir un certificat. Il n’est donc pas facile de voter par anticipation, même pour les rares personnes admissibles.

Une autre mesure tend à améliorer l’accès au processus électoral : c’est l’augmentation du temps accordé aux employés pour voter. La disposition avait été adoptée pour la première fois en 1915, obligeant les employeurs à accorder à leurs employés une heure pour voter pendant les heures d’ouverture des bureaux de scrutin (en plus de leur heure de repas). En 1920, cette période est portée à deux heures.

Pendant l’entre-deux-guerres, le seul nouveau groupe admis au suffrage est celui des résidents des établissements de bienfaisance (qui n’étaient pas recensés par le passé, faute d’une adresse « domiciliaire »), à qui l’on accordera le droit de vote en 1929. Dans l’ensemble, les deux décennies qui suivent la Première Guerre mondiale seront marquées par des améliorations modestes mais régulières des conditions d’exercice du droit de vote.


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