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Histoire des Autochtones du Canada
Tome II (1 000 avant J.-C. à 500 après J.-C.)

Les Grands-Lacs-Saint-Laurentiens récents (Sommaire, Chapitre 23)

Le GL-St-Laurentien récent se compose de trois complexes nommés Meadowood, Saugeen, et Pointe-Péninsule. La signification du terme "complexe" tel qu'utilisé dans cet ouvrage peut revêtir plusieurs nuances. Il sert à décrire certaines entités archéologiques dont l'information trop restreinte ne justifie pas le nom de culture. Le terme est également utilisé pour désigner des phases anciennes ou récentes d'une formation culturelle, notamment les complexes du lac Pélican (ancien) et de Besant (récent) du Planussien récent ainsi que des complexes qui constituent des entités, contemporaines mais géographiquement éloignées, d'une seule culture comme celle du cas présent. En outre, le terme "complexe" s'applique aussi à un phénomène archéologique particulier partagé par plusieurs cultures distinctes, par exemple le complexe funéraire adénien Le contexte est donc susceptible de faire varier la signification de ce terme dont l'élasticité, quoique irritante d'une certaine façon, se conforme néanmoins à la nature plutôt temporaire de l'information archéologique en évitant de sous-entendre une connotation de précision là où la précision n'existe pas. La définition de culture comme entité composée de plusieurs complexes à caractère temporel, spatial ou phénoménal est appropriée quant aux fins de cet ouvrage. Cependant, il est opportun de souligner que les complexes temporels et spatiaux peuvent chapeauter plusieurs sociétés indépendantes et que, à l'intérieur d'une même culture, les complexes phénoménaux peuvent influencer certaines sociétés à l'exclusion des autres.


Offrandes mortuaires des Grands-Lacs-Saint-Laurentiens récente Offrandes mortuaires des Grands-Lacs-Saint-Laurentiens récente

Sauf les deux pointes de flèche encochées meadowoodiennes, tous les objets illustrés proviennent en général de sépultures. Ce fait indique que de telles offrandes revêtaient une signification symbolique particulière associée à la mort et à la vie outre tombe. L'aviforme en ardoise polie au sommet et probablement la barre en pierre dans le coin inférieur gauche peut représenter les derniers vestiges d'un poids de propulseur. La fonction des objets appelés naviformes, à l'extrême gauche, est inconnue. Typique du complexe funéraire meadowoodien sont les pointes meadowoodiennes, l'aviforme et le pendentif à deux trous en ardoise polie. Typique du complexe funéraire adénien sont le naviforme, la pipe tubulaire au bas, et la barre en pierre. La grande lame bifaciale pédonculée, à droite, est plus typique du complexe funéraire de Red Ocher mais peut aussi se trouver dans le complexe funéraire meadowoodien.

(Reproduction de Wright 1972a : Planche en couleur III)


Les trois complexes du GL-St-Laurentien récent se rangent tous les trois dans ce qu'on appelle régulièrement le Sylvicole inférieur et moyen, ou le Sylvicole initial, s'échelonnant de 1 000 avant J.-C. à 500 après J.-C. Le terme "Sylvicole" désigne l'apparition d'un seul élément de la technologie - la poterie, et pour des fins de classification amène la période de l'Archaïque sans poterie à son terme. Le territoire occupé par les GL-St-Laurentiens était les Bas Grands Lacs, la partie orientale du basin du lac Huron, le fleuve Saint-Laurent jusqu'à la ville de Québec, la partie occidentale de l'Estrie du Québec, le nord des états de New York et du Vermont. Plusieurs facteurs ont compliqué le processus de formuler une synthèse de l'archéologie de cette région durant la Période IV. Alors que le territoire était principalement couvert par la zone végétale des Grands-Lacs-Saint-Laurent, ses limites sud et nord étaient occupées par la forêt de feuillus et par la forêt boréale, respectivement. Ces différentes unités végétales étaient, en grande partie, le cœur de différentes cultures archéologiques qui interagissaient avec leurs voisins de façons complexes. Les comptes rendus archéologiques qui ont tendance à situer leur perception dans un cadre régional, présente l'enregistrement archéologique comme vu de l'Ontario, du Québec, du Vermont et de New York ou, plus souvent, de régions encore plus réduites à l'intérieur de ces provinces ou états. L'absence d'entente sur les systèmes classificatoires, y compris, même, des termes généraux comme "Sylvicole inférieur" ont accentué encore davantage ce cadre régional. Comme les gisements archéologiques se composent typiquement d'occupations multiples qui s'échelonnent sur des milliers d'années, il est difficile, sinon impossible, d'en isoler les occupations individuelles. Cette difficulté a conduit à la dépendance envers une série de "diagnostiques" pour interpréter l'enregistrement archéologique. Finalement, le rituel funéraire élaboré qui caractérise la Période IV, a tendance à être surévalué dans la reconstitution de l'histoire culturelle. En dépit de ces problèmes, les manifestations archéologiques de la région se rangent parmi les plus intéressantes du pays.

Il y a consensus sur le fait que le GL-St-Laurentien récent ait émergé d'une base culturelle récente de l'Archaïque, le GL-St-Laurentien moyen, même s'il y a désaccord sur la manière avec laquelle cette évolution s'est concrétisée. En effet, on retrace difficilement ces événements chez les GL-St-Laurentiens moyens vers la fin de la Période III. On a cependant esquissé les raisons qui nous ont incités à favoriser les GL-St-Laurentiens moyens (Archaïques laurentiens) comme les ancêtres de la culture à l'étude. Toutefois, il y a un certain consensus sur le fait que les GL-St-Laurentiens aient donné naissance aux peuples iroquoiens historiques du nord-est de l'Amérique du Nord et il est probable que certains algonquiens voisins aient aussi profité de cette évolution.

On croyait autrefois que l'apparition des vases en poterie signifiait que le "Sylvicole inférieur" marquait le début un développement culturel majeur. En effet, l'apparition des vases en poterie, des tumulus funéraires et des outillages plus élaborés a été considérée comme la marque d'un changement qui dépassait la chasse et la cueillette. L'observation précédente n'amenuise pas le fait que, vers 500 avant J.-C., la courge était cultivée sur des sites voisins du Michigan et de l'Ohio. En fait, la courge pourrait avoir été cultivée beaucoup plus tôt dans le sud de l'Ontario comme l'indiquent les pelures de courge datées à 4 000 avant J.-C. dans un site du Maine (Petersen 1991 : 140-143).

Outre l'introduction de la poterie depuis le sud, trois autres événements caractérisent le Période IV. À peu près vers le début de la Période IV, l'arc et la flèche ont été généralement adoptés et ont éventuellement remplacé le propulseur plus ancien. Au même moment, des bandes entreprenantes contrôlant les dépôts de chert de haute qualité de l'ouest d'Onondaga, entre le lac Ontario et le lac Érié en Ontario et New York, inventèrent une méthode élaborée de production de préformes spécialisées en pierre taillée. Ces préformes furent largement échangées dans tout le nord-est de l'Amérique du Nord entre 1 000 et 500 avant J.-C. Sous-jacent à la mise en œuvre de cette inhabituelle entreprise commerciale, se trouvait vraisemblablement le besoin d'un type plus approprié d'armature pour le nouvel ensemble technologique de l'arc et de la flèche. En outre, le fait que le chert de l'ouest d'Onondaga était principalement utilisé dans la production de préformes laisse croire qu'une certaine signification symbolique était reliée au matériau. Peu après les événements mentionnés antérieurement survient l'apparition, en provenance de la vallée de l'Ohio, du rituel funéraire qui devait exercer une influence dans la région pendant environ 1 000 ans.

Les vases en poterie ont été particulièrement précieux à l'interprétation archéologique. La poterie comporte un médium plastique qui conserve une variété de valeurs culturelles exprimées par les motifs, les techniques décoratives, la forme des vases, et d'autres caractéristiques. Toute modification de l'argile à l'état plastique acquiert, par la cuisson, une dureté impérissable comparable à celle de la pierre. Les caractéristiques détaillées qui accompagnaient le façonnage et la décoration de la poterie représentent des indices temporels et spatiaux, exceptionnellement sensibles, des tendances et des relations. Alors que la poterie revêt une importance considérable à l'interprétation archéologique au cours de toute la Période IV, elle a aussi été la base de problèmes d'interprétation. On a d'abord présumé, et la plupart des chercheurs le présument encore, que la poterie du "Sylvicole inférieur" correspond toujours à une variété particulière de poterie à impressions cordées qui avait précédé et était, dans tous les cas, l'ancêtre de la poterie du "Sylvicole moyen" qui comportait des décors élaborés exécutés à l'aide un instrument dentelé (Ferris and Spence 1995; Ritchie 1946; Ritchie and MacNeish 1949). La présomption que la séquence chronologique débutait par la poterie ancienne à impressions cordées suivie d'une poterie estampée d'un instrument dentelé, a constitué un problème, particulièrement dans la partie canadienne de la région à l'étude car plusieurs sites, datés du "Sylvicole moyen", s'avérèrent contemporains du "Sylvicole inférieur". De plus, la poterie ancienne à impressions cordées, qui représente vraiment l'un des plus anciens styles de poterie dans une grande partie de l'Amérique du Nord, est soit périphérique au Canada ou est généralement trouvée en association avec des styles de poterie du "Sylvicole moyen". Les seuls sites d'habitation qui, trouvés à date au Canada, contiennent de façon prédominante une poterie ancienne à impressions cordées et un outillage également distinctif en pierre taillée sont les sites de Batiscan et Lambert sur le fleuve Saint-Laurent près de Trois-Rivières (Levesque et al. 1964) et la ville de Québec (Chrétien 1993). De tels sites d'habitation seront probablement découverts éventuellement dans la région de la péninsule du Niagara entre le lac Ontario et le lac Érié (Noble 1975) et sur la rive nord du lac Érié (Spence et al. 1990). Alors que la poterie la plus ancienne, provenant de sites stratifiés sur la rive new-yorkaise du lac Ontario, est invariablement à impressions cordées et est appelée Vinette 1 (Ritchie 1944; Ritchie and MacNeish 1949), mais sur la rive ontarienne de ce lac, la poterie la plus ancienne provenant de sites stratifiés équivalents est une poterie plutôt différente estampée à l'aide d'un instrument dentelé (Ritchie 1949). S'il y a une séquence chronologique de la poterie ancienne à impressions cordées menant à la poterie ancienne estampée avec un instrument dentelé dans la partie canadienne de la région à l'étude, alors la visibilité de l'enregistrement ainsi que la nature des datations par le radiocarbone ont vraiment été perturbées. Dans le moment, il semble que, quand les populations archaïques locales de la majorité de l'est du Canada ont adopté l'idée de la poterie depuis le sud, elles ont procédé à l'invention des styles décoratifs du "Sylvicole moyen" plutôt que de simplement imiter la poterie cordée de leurs voisins du sud et de l'est. Le cœur du style de la poterie distinctive estampée à l'aide d'un instrument dentelé est vraisemblablement le sud de l'Ontario et probablement la partie extrême du haut fleuve Saint-Laurent au Québec. Depuis cette région, la poterie du nord s'est diffusée éventuellement vers l'est, l'ouest et le sud. Comme les gens ne vivent pas dans le vide, les deux différents styles de poterie, à impressions cordées au sud et l'est et estampée à l'aide d'un instrument dentelé au nord et à l'ouest, sont fréquemment trouvés en association sur les mêmes sites. Les gens, en adoptant l'un ou l'autre des deux différents styles, ont souvent partagé un lignage commun d'une autre façon. Sauf pour le complexe spécialisé meadowoodien, les préformes en pierre taillée et les outils qui en ont été tirés, la plupart des éléments de la technologie autre que la poterie, les modes d'établissement et de subsistance, ainsi que les cérémonies funéraires, étaient partagés par le gens qui par ailleurs façonnaient des styles de poterie différents. Alors que les tessons de poterie sont fréquents sur des sites de cette période et se prêtent plus facilement à une classification que la plupart des autres éléments de cette technologie, ils ont peut-être apporté une contribution excessive à la reconstitution de l'histoire culturelle. De ce point de vue, le complexe meadowoodien est issu de l'Archaïque précédent et a conduit au complexe subséquent de Pointe-Péninsule (Tuck 1978 : 4) mais cette chaîne d'événements s'est concrétisée seulement dans l'état de New York, dans une partie limitée du fleuve Saint-Laurent entre Trois-Rivières et la ville de Québec, et probablement au lac Champlain. Dans tout le sud de l'Ontario et au Québec limitrophe, le développement depuis le GL-St-Laurentien moyen a débouché directement sur les complexes régionaux de Pointe-Péninsule et de Saugeen sans la présence intermédiaire de Meadowood ou du Sylvicole inférieur. Le lien géographique entre ces deux anciens styles de poterie et leur contemporanéité partielle continue à susciter un débat d'envergure (Ferris and Spence 1995; Fitting 1978 : 50; Mason 1981 : 271; Wright 1990 : 495-496). Étant donné la nature limitée et souvent équivoque de l'enregistrement, il n'est pas recommandé d'être trop dogmatique, dans le moment, en ce qui concerne soit la validité d'un développement traditionnel linéaire des styles de poterie depuis le Sylvicole inférieur jusqu'au Sylvicole moyen ou soit d'une origine bimodale impliquant deux traditions clairement différentes de poterie.

Le rituel le plus ancien de la Période IV, remontant à 1 000 et 400 avant J.-C., est connu sous le nom de complexe funéraire de Meadowood; au Canada, il semble généralement réduit à la vallée du fleuve Saint-Laurent au Québec et à la rive nord du lac Érié dans le sud de l'Ontario. Avec des antécédents qui s'enracinent dans les pratiques funéraires du GL-St-Laurentien moyen, le complexe funéraire meadowoodien a aussi partagé plusieurs traits funéraires avec les complexes funéraires de Pointe-Péninsule et de Saugeen dont il était partiellement contemporain. Un complexe funéraire peu plus récent, remontant à 800 avant J.-C. jusqu'à 100 après J.-C., est appelé le complexe funéraire d'Adéna ou, plus couramment, le complexe de Middlesex (Spence et al. 1990). Contrairement au complexe funéraire meadowoodien, le complexe funéraire adénien découlait d'influences émanant de la vallée de l'Ohio et comportait des tumulus funéraires en terre et des offrandes mortuaires exotiques provenant de la vallée de l'Ohio. Il a été suivi du complexe funéraire apparenté à celui d'Hopewell, aussi de la vallée de l'Ohio, qui a disparu peu avant la fin de la Période IV. Les GL-St-Laurentiens récents ont partagé un amalgame de rituels funéraires originant de la vallée de l'Ohio et l'essentiel des systèmes de croyances locaux dérivés de la Période III. Toutes ces diverses pratiques funéraires ont non seulement chevauché dans le temps jusqu'à certain degré et ont partagé des caractéristiques définies, mais ils ont aussi fleuri dans certaines régions géographiquement limitées. Ces observations permettent de croire que, si les rituels funéraires anciens sous-tendaient tous les complexes funéraires de la Période IV, des régions spécifiques ont participé plus intensément dans les pratiques rituelles provenant de la vallée de l'Ohio.

Les GL-St-Laurentiens récents à l'instar de leurs ancêtres, les GL-St-Laurentiens moyens, étaient organisés en bandes locales qui, durant les mois chauds de l'année, se fusionnaient à des endroits propices à la pêche. Ici, on pouvait laisser aux femmes, aux enfants et aux infirmes le soin de s'occuper des filets et des pièges et de ramasser des crustacés et de la nourriture d'origine organique alors que les chasseurs rayonnaient depuis un camp de base le long des cours d'eau à la recherche de gros gibier et d'autres ressources. Une innovation des gens du complexe saugeenien a été l'habileté de piéger les poissons dans les rapides, vraisemblablement en utilisant des barrages pour diriger les poissons dans des pièges/filets. La pêche au barrage dans des eaux plus calmes était évidemment une pratique plus ancienne. Les relations humaines se révèlent dans l'enregistrement archéologique par la présence de styles de poterie étrangers dans plusieurs gisements, témoignge du besoin d'attirer des épouses issues d'autres bandes et même d'autres milieux culturels. Quant à l'affirmation précédente, on croit que les femmes modelaient les vases en poterie et apportaient leurs styles régionaux avec elles quand elles suivaient leur mari.

En bref, l'apparition de la poterie vers 1 000 avant J.-C., l'adoption de l'arc et de la flèche vers la même époque, le développement de l'industrie des préformes spécialisées et l'apparition de cérémonies funéraires provenant de la vallée de l'Ohio, se sont intégrées et ont créé l'impression que l'enregistrement archéologique indiquait l'avènement de changements importants. Il semble maintenant que seuls deux nouveaux éléments de la technologie, la poterie et l'ensemble technique de l'arc et de la flèche, ont été adoptés. Même les idées funéraires en provenance de la vallée de l'Ohio n'ont été adoptées que par une partie limitée de la population. Le mode de vie est demeuré essentiellement le même depuis la Période III et n'a pas été dramatiquement altéré avant l'adoption de l'horticulture basée sur le maïs entre 500 et 1 000 après J.-C.


 
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