Marius Barbeau Un aperçu de la culture canadienne (1883-1969)
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La vie de Barbeau

L'Université Laval (1)

J'allais entreprendre des études de Droit pour notariat. Pourquoi le notariat ? Mon idée était que, étant héritier (présomptif) de la belle et grande maison semi-seigneuriale de ma grand-mère, j'irais là habiter et pratiquer ma profession. Idée peu pratique : Sainte-Marie étant un grand village rural où il y avait déjà trois notaires bien établis et un avocat, plus qu'il n'en fallait.

Je m'inscrivis à l'Université Laval et je commençai à aller aux cours, les matins, de 8hrs à 10hrs, et les soirs, de 5hrs à 6hrs. Droit civil, avec le juge François Langelier; Droit romain, avec l'honorable Edmund James Flynn (ancien premier-ministre provincial); le notaire Louis-Philippe Sirois, pour les Droits romain et municipal; Alphonse Pouliot pour la Procédure, etc. Chaque étudiant devait faire sa cléricature à un bureau de pratique professionnel. Je passais des heures à copier des actes notariés. Je n'y apprenais pas grand-chose, et trop lentement. A mes cours de Droit, je prenais des notes en sténographie. J'avais appris le système Duployer à la classe commerciale à Sainte-Marie. On remarqua mon habileté à prendre mes notes et j'avais déjà commencé à faire des résumés dactylographiques pour d'autres étudiants moins industrieux. Je les vendais à deux dollars la série, ce qui payait les frais du dactylo que j'avais acheté à tempérament, et un peu plus. Un matin après son cours, le juge François Langelier, professeur de Droit civil, que nous admirions tous, me demande si je voulais bien m'engager à lui pour prendre à la sténo son cours, en session particulière de dictée, cela pour la publication de son cours en plusieurs volumes. Vingt dollars par mois, une demi-heure de dictée chaque après-midi à 4hrs. Avec empressement, j'acceptai. Cet engagement devait durer trois ans et me permit de payer moi-même une bonne partie des frais de mes études.

En mai, après son cours, l'Honorable E.J. Flynn qui nous enseignait le Droit romain me demanda si je voulais m'engager à lui, à son bureau, comme clerc avocat? Je lui répondis que j'étais étudiant en notariat. Il me dit en souriant : « Un homme intelligent comme vous, pourquoi vous faire notaire ? Un notaire, ça ne voit jamais le point ... ». M. Flynn avait, sans le vouloir, causé en moi une révolution. Oui, pourquoi étudier en vue du notariat quand il y avait beaucoup plus d'avenir dans l'autre profession?

En 1904, je m'inscrivis donc à la Chambre du Barreau et je fus admis à l'étude. Mais il fallait faire trois ans de cléricature et d'études. Je perdais donc mon année de notariat. Peu importe ! Pendant l'été je travaillai donc comme clerc au bureau de l'Honorable E.J. Flynn. Par surcroît, pour augmenter mon maigre revenu, je m'engageai dans la milice pour un cours d'été de trois semaines. Cet été-là, je ne passai que deux jours chez mon père avant la reprise des cours. Mais, à mon désappointement, j'appris à mon retour à Québec en septembre, que M. Flynn ne continuait pas mon engagement comme clerc. Mais il fallut chercher un autre bureau d'avocat où je servirais comme clerc; cela était exigé au point de vue du Barreau. Je m'adressai au bureau Pelletier et Baillargeon. J'admirais grandement l'Honorable Louis-Philippe Pelletier comme politicien malin et éloquent. On m'accepta, mais sans salaire (comme ça se faisait partout ailleurs). À ce bureau, je fis assez peu de travail de clerc : on n'avait pas vraiment besoin de moi. Mais la sténographie pour le Juge Langelier suffisait; aussi les résumés dactylographiques de cours que je continuai à faire pour moi-même et pour quelques confrères moins industrieux. En 1906, je pratiquai comme clerc salarié chez l'avocat Dorion, de Québec, en remplacement d'un confrère (Aimé Marchand) qui voulait étudier tout son temps pour ses examens. On finit par me rappeler au bureau de M. Pelletier.

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