Marius Barbeau Un aperçu de la culture canadienne (1883-1969)
Introduction Objets Photos & documents Thèmes La vie de Barbeau Coin éducatif

Le temps des sucres

Dans l'Est du Canada et plus particulièrement au Québec, « temps des sucres » et printemps sont synonymes. C'est une période de réjouissance souligné par des excusions dans les « cabanes à sucre » ou il est de tradition de goûter à la sève sucré de l'érable, de déguster la tire sur la neige et bien d'autre mets agrémentés au sirop d'érable.

Pour l'anthropologue Marius Barbeau la cabane à sucre était un lieu de délices mais aussi de folklore et de tradition :

« Tous les deux ou trois jours on faisait la tire et le sucre. Grand délices! Lécher la palette, faire des bulles par le petit trou de la palette, couler un peu de sucre dans des moules en forme de cœur, ou encore dans des cornets de bouleau.

Les cornets sont ce que je connaissais de plus délicieux au monde. [...] Afin de se reposer et de s'égayer, le soir, on se voisinait, on chantait des chansons et on contait des contes. [...] Mon père faisait bouillir la nuit. Une nuit il me garda avec lui; je couchais avec lui en face du fourneau enflammé sur des peaux de bison et des branches de sapin. [...] C'était le moment propice, parmi les ombres sautillantes, en face du brasier où bouillait l'eau sucrée, de conter des histoires de loups-garous et de feux follets [...] Quand la porte de la cabane s'ouvrait sur la nuit, je craignais les apparitions [...]. Toute l'année je désirais le retour du printemps à cause du sucre et de la tire. »

Bien que fortement ancré dans nos traditions, la coutume de recueillir la sève de l'érable et la manière d'en produire du sirop et du sucre nous vient des Amérindiens qui bien avant l'arrivé des européens, en connaissait la valeur et les techniques. Pour recueillir l'eau d'érable, ils pratiquaient une entaille dans le tronc de l'arbre, sous laquelle ils fixaient un copeau de bois conduisant l'eau d'érable dans un récipient d'écorce.

Les Iroquois et les Hurons, se servaient de casseaux d'écorce d'orme « mocoks » pour recueillir la sève qu'ils faisaient bouillir en y mettant des cailloux rougis dans un brasier. Ce procédé noircissait fort le produit, qu'on avait l'habitude de granuler. Les Algonquins employaient des vaisseaux d'écorce de bouleau appelés « ouragans ». Les Iroquois pouvaient aussi utiliser à cet effet des pots de terre cuite de leur propre façon.

On pouvait également produire du sirop en faisant geler l'eau d'érable à plusieurs reprises et en retirant la glace à chaque fois. On obtenait un sirop plus transparent mais sans le goût caractéristique.

C'est essentiellement ces mêmes techniques (à l'exception de l'introduction du chaudron pour faire bouillir la sève) qu'utilisèrent les premiers colons comme le rappelait vers 1935, Edmond Savoie, un ancien « Sucrier » de la Beauce.

« Les anciens se servaient d'auges de bois pour recueillir la sève, au pied de chaque érable. Les « goudrilles » qui conduisaient les gouttes de l'entaille à l'auge, étaient des grandes « plaintes» de cèdre, de 6 pouces (15cm) de long. [...] Plus tard, on remplaça les auges de bois par des casseaux d'écorce de bouleau. [...] Plus vite faits que les auges, ils étaient très légers lorsqu'ils étaient vides, sur la neige. Le vent les balayait souvent ou les renversait. Pour prévenir cet accident, on mettait un caillou au fond, en guise de lest.

À certains endroits, des tonneliers, ou les habitants eux-mêmes, fabriquaient à grands frais de petites cuves ou des seaux qu'on suspendait aux érables. En séchant, l'été, ces vaisseaux tombaient en « bottes », ou, au commencement du printemps, ils coulaient comme des paniers. [...] Les ferblantiers commencèrent enfin (vers 1880) à fabriquer les chaudières de fer blanc pour les érables, qui remplacèrent vite les casseaux. Aux « goudrilles » de bois on en substitua de métal.

On faisait bouillir la sève dans des chaudrons suspendus à une brimbale, dehors, sous un appentis. Comme ces chaudrons n'étaient pas nombreux, ni bien grands, on entretenait dessous un feu d'enfer, jour et nuit. Autrement, les vaisseaux débordaient d'eau ou l'eau surissait dans les tonnes.

Quand on évaporait l'eau sur un feu ralenti, pour en faire du sirop ou du sucre, il arrivait que la « brasserie », tout à coup, montait pour déborder. Un morceau de lard gras, suspendu un peu à l'intérieur du chaudron, se trouvait à plonger dans le liquide en ébullition, et le gras fondu y remettait le calme. N'arrivait-il pas que le lard se détachait quelquefois de son crochet suspendu et qu'en fondant il gâtait la brassée. »

À cette époque, malgré certain efforts de commercialisation, la production de sirop et de sucre d'érable demeurait artisanale et visait principalement une consommation personnelle et locale.

Au cours du 20ième siècle, les choses changeront radicalement. Des exploitations plus importantes imposeront une cueillette plusieurs fois par jour et un équipement plus efficace pour bouillir. Les chaudières d'aluminium remplaceront les sceaux de bois. Du chaudron en fonte on passera à l'évaporateur équipé de thermomètres et de contrôle d'arrivé de l'eau d'érable.

Dans les années 1970 on développera un système de réseau de tubulures en matière plastique qui grâce à des pompes à vide acheminera l'eau d'érable directement de l'arbre aux réservoirs d'entreposage.

Les années 1980 verront apparaître la technique d'osmose inversée qui permet une première concentration de l'eau d'érable avant d'être évaporé par ébullition. Ainsi, de saisonnière et artisanale l'acériculture deviendra activité industrielle en plein essor.

Aujourd'hui, au Canada, principalement au Québec, on produit annuellement quelque 80 millions de litres de sirop, soit en moyenne près de 83 % de la production mondiale, les États-Unis produisant les 17% restant.